Il y a bien longtemps, en un âge dont l’existence est connue sans que l’on sache ni son nom ni combien de milliers d’années le sépare d’aujourd’hui, les Elfes, dit-on, allaient et venaient ouvertement de par Endoril. Ils étaient au sommet de leur gloire en ces vieilles terres, et leur royaume était paisible et resplendissant. Alors leurs beaux visages portaient une joie grande et une plénitude sans nulle autre pareille. Leurs joyaux brillaient sans honte à la lumière du jour, et leurs demeures accueillaient en leur sein quiconque venait avec le geste amical. Et ce temps était heureux.
Cependant vint un jour le début d’une longue époque d’ombre, rythmée par maintes batailles et guerres au cours desquelles s’entredéchirèrent les frères rois des Elfes et où d’innombrables vies s’éteignirent dans une obscurité grandissante devant laquelle se brisaient les alliances des Elfes, des Hommes et des Nains. Nombre d’années passèrent ainsi, sous un ciel noir en un âge de peur. Et la gloire des seigneurs elfes perdit de son éclat comme gagnait en force et s’assemblait une menace de tourment et de souffrance. Mais un jour vint où, disent les légendes, une poignée de héros tour à tour portèrent à l’Ombre des coups mortels. Et il est dit que son maître fut finalement banni des terres, au terme d’un âge de larmes et de sang.
Et ainsi débutait un nouvel âge. Mais à l’appel de leurs maîtres de jadis, et contre toute la rancune qui pouvait les habiter, nombreux furent les Elfes qui décidèrent de dire adieu aux terres et faire voile par la Mer. Et beaucoup restèrent le long des côtes à se languir d’un âge perdu. Ainsi restèrent en Endoril nombre d’Elfes, voulant rebâtir ce pourquoi ils avaient tant souffert durant si longtemps. Ainsi auprès des Hommes et Nains dressèrent-ils à nouveau de hautes demeures surplombant les vastes landes. Et durant bien des siècles, ils prospérèrent aux côtés de leurs amis. Et les terres furent à nouveau vertes et paisibles.
Mais hélas c’est l’avidité des Nains, est-il dit, qui réveilla, d’une façon où d’une autre, un mal jusqu’alors endormi. Et la guerre se leva à nouveau sur les vieilles terres avec une fureur et une peur indescriptibles. Une à une, les hautes cités tombèrent sous un joug terrible, et l’espoir disparut. Tout du moins disparut-il pendant plusieurs années durant lesquelles les plaines, les forêts et les montagnes s’assombrirent. Mais c’est une ultime alliance qui mit cependant à bas cette terreur. Au sortir de cette guerre destructrice, les Elfes se firent plus discrets. Ils cessèrent bon nombre de commerces et restèrent dans leurs demeures resplendissantes qui devinrent soudainement plus ardues à trouver. Et comme ils restèrent loin des autres peuples, dans le cœur une profonde ranceur se forma envers les Nains, responsables à leurs yeux de ce fléau.
Ainsi passèrent les années, et le temps sembla effacer l’existence des Elfes, en même temps que celle des Nains, bien que les royaumes des Hommes avaient perdu de leur éclat. Alors les Elfes voulurent quitter Endoril, semblant las des souvenirs pesants qui régnaient sur ces terres. Mais soudain éclata la dernière guerre avant la Grande Guerre. Et leur aide fut requise par les Hommes et les Nains. Aussi aidèrent-ils autant qu’ils le purent, jusqu’à une victoire désespérée, obtenue au prix de nombre souffrances. Ainsi ils contribuèrent à abattre le mal qui menaçait de s’abattre impitoyablement sur les terres. Alors jugèrent-ils leur temps sur ces landes de peine et de mort révolu, et ils firent donc voile dans la même direction que leurs frères et aïeux l’avaient fait des siècles avant eux, laissant aux Hommes et aux Nains la tâche de régner sur Endoril.
Mais sur le départ, sur les rives chargées de souvenirs des vieilles terres, alors que les voiles blanches se hissaient et que les vents soufflaient doucement vers l’Ouest, et que dans l’air était la plus triste des musiques, loin de l’Occident portées, dit-on, le son de flûtes mélancoliques, certains ne purent faire leurs adieux à Endoril. Et ils restèrent là sur les côtes, à regarder s’éloigner vers l’horizon les voiles claires au soleil couchant.